Totalement inconnue en France, la pensée utopiste de Nikolaï Fiodorov a influencé la culture du XXe siècle russe et demeure à ce jour une référence importante en Russie. De nombreux écrivains y trouveront des échos de leurs préoccupations, de Tolstoï à Dostoïevski ou à Vladimir Soloviov. Parmi ses héritiers, le futuriste Velimir Khlebnikov et les écrivains Andreï Platonov ou Maxime Gorki, mais également des savants comme Tsiolkovski, le père de l’aéronautique soviétique. Ses idées trouveront indirectement leur expression dans des textes de la science-fiction soviétique ou dans le cinéma d’Andreï Tarkovski et son adaptation de Solaris (1972).
La pensée de Fiodorov se situe au croisement des nouvelles disciplines émergentes de son temps, telles que la linguistique et l’anthropologie, mais également la sociologie, l’agriculture, l’économie. Il est attentif aux phénomènes sociaux engendrés par l’urbanisation, l’appauvrissement de la campagne, et pressent, comme d’autres penseurs de son époque, l’avènement d’une crise mondiale majeure. Exhortant l’humanité à s’unir pour vaincre la mort, Fiodorov lui assigne aussi le devoir moral de ramener à la vie toutes les générations disparues, ces victimes du « progrès » : c’est « l’œuvre commune ». Sur le climat, objet d’attention privilégié, ou encore, sur les transformations biologiques que connaîtra l’humanité, sa réflexion se rapproche de la question du transhumanisme, qui connaît actuellement un véritable engouement dans la Silicon Valley et ses grandes entreprises.
La philosophie de Fiodorov, nourrie à la pensée chrétienne des premiers siècles comme aux idées modernes de conservation de la matière et d’évolution, retrouve un écho étonnant dans l’actualité du XXIe siècle.
Philosophie de l'œuvre commune - Nikolaï Fiodorov
Nikolaï Fiodorov (1829-1903) est philosophe, russe, fondateur du cosmisme. Véritable autorité intellectuelle, surnommé le « Socrate » moscovite, il a été pendant de nombreuses années bibliothécaire au Musée Roumiantsev à Moscou. Il croit en la possibilité du prolongement de la vie, de l’immortalité physique et de la résurrection des morts par des moyens scientifiques. De son vivant, Fiodorov n’a publié que quelques articles sous pseudonyme, le reste de ses travaux a été consigné et transmis sous forme de cours. Poursuivant un idéal ascétique, il était réticent à diffuser son œuvre. La Philosophie de l’œuvre commune a vu le jour entre 1906 et 1913 grâce aux travail des disciples du penseur, Vladimir Kojevnikov et Nikolaï Peterson.